Écrire, c’est vraiment un métier ?

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C’était un début de journée comme les autres, il y a quelques années, autre vie, autre époque : je faisais du SEO.

Chemise, béret et boléro enfilés pour se plier aux exigences fringuées de la réunion client, je me pointe à l’agence quelques minutes en avance pour vérifier que la salle est clean. Les clients arrivent ; salut timide. Ils ne le diront pas, mais je sens que ça les emmerde d’être ici, avec leurs tronches en berne comme un drapeau fatigué.

Cafés distribués, lumières éteintes, le projecteur toussote un long râle d’agonie, comme si cette énième formation de rédaction web l’épuisait déjà avant même d’avoir commencé sa litanie.

J’envoie le PowerPoint, et je marque une pause.

Mes trois comparses sont silencieux, bras croisés, regards cloués à l’entête de la présentation. Je fronce les sourcils : la table est vide. Pas un seul ordinateur. Pas un seul calepin. Pas un seul papier, et encore moins de stylos. Que dalle. Le néant.

— Ah, vous ne prenez pas de notes ? dis-je sur un ton badin.

Le premier se retourne. C’est le responsable marketing, les deux autres sont stagiaires :

— Pourquoi, c’est nécessaire ?

Je m’abrutis dans une moue interloque.

Des clients qui ne prennent pas de notes, j’en avais déjà connu, mais c’était surtout par étourderie : ce simple commentaire suffisait généralement à les ramener sur le chemin du juste. Mais là, je subodore le traquenard, l’effronterie sauvage, le type mal luné qui veut en découdre avec ses dents.

Franc sourire, je m’efforce d’être pédagogue :

— Eh bien, il vaudrait mieux. On va aborder quelques notions délicates, ce sera plus facile pour vous de vous en souvenir.

Le responsable market’ balaie ma réponse d’un revers de main :

— Je pense que ça va aller. Écrire, c’est pas très compliqué, tout le monde sait le faire.

Stupeur.

En ces temps préhistoriques à l’échelle du web, j’étais moins bien armé pour répondre à ce genre d’objections, et puis surtout, j’étais en pleine dissonance cognitive avec les métiers de l’écriture web : j’avais d’un côté peu de considération pour le métier de rédacteur, qui se résumait pour moi à pisser du texte au kilomètre dans l’urinoir Google, et de l’autre j’avais la sensation que ces boulots étaient sacrément dévalorisés par rapport à ce qu’ils pouvaient générer comme valeur auprès des entreprises.

« Je pense que ça va aller. Écrire, c’est pas très compliqué, tout le monde sait le faire. »

Cette petite phrase assassine tourne en boucle dans ma caboche, mais je claquemure mon bec, et j’entame ma formation comme si de rien n’était.

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